vendredi 11 mai 2007

La dure vie de second rôle qui doit mourir

Je suis né à peu près à la même date que le héros, ou alors je suis son père ou un descendant direct, j’ai des liens particuliers avec lui, que ce soit de la haine ou de l’amour. Je suis un homme, le plus souvent. J’ai peut-être niqué sa copine aussi, mais ça c’est moins probable. Je suis très utile dans la première moitié du film, pour déconnecter le réseau de sécurité de la base ennemie, pour expliquer à tout le monde que les requins génétiquement modifiés c’est le mal (oui mais Samuel, il fallait pas le faire devant la seule issue sous-marine), ou même donner le nom des dinosaures et ainsi fournir la caution scientifique à la piètre suite d’un film à succès (Serpent venimeux ou T-Rex, il y a des choix difficiles dans la vie, même sous une cascade), pour illustrer la jalousie, pour démontrer un choix difficile, pour faire marrer des fois aussi... Mais je meurs, c’était marqué sur ma gueule que je devais crever. T’étais là, dans ton cinoche à regarder ton film. Tu m’as vu et t’as dit à ta meuf ou à ton pote « Combien tu paries que lui il crève ? », et ils ont acquiescé, les salauds.

Parce qu’il y a besoin d’une dose d’émotion, le meilleur ami du héros doit mourir !!! Mais pas sa meuf ! Qu’il connait depuis trois semaines, et qu’il garde parce qu’elle est super bonnasse et que jamais un généticien, un archéologue/journaliste/aventurier ou un chercheur en biologie moléculaire n’arrivera à trouver mieux. Alors que moi, MOI, je le connais depuis tout petit, on volait des bonbons ensemble. On a été à l’école ensemble, c’est moi qui lui donnais les réponses. On a monté ce projet de manipulation génétique destiné à guérir le cancer tous les deux (et avec un budget de l’armée croate, va savoir pourquoi) et pourquoi je vais devoir mourir ?
Parce que c’est moi qui aie cru en ce projet et que cette chochotte était réticente.

Pour tous ces blablabla caution morale et l’éthique de l’espèce humaine, alors qu’on avait la découverte à portée de main. Et c’est cette chochotte qui va pleurer comme une madeleine en m’envoyant une rafale de balle quand je me serai transformé en zombie ou en frite sanguinaire géante. Tout ça pour le bon vieux temps, je te parie même que le scénariste il va nous coller une scène où on nous verra tous les deux supers potes, genre on va à la pêche, on drague des minettes, on trouve la formule de la composition moléculaire de l’élément manquant à l’antidote de la dégénérescence des cellules lors de manipulation génétique de l’opération de clonage.

Je pourrais aussi me sacrifier, sortir des « laisser moi, je vais vous ralentir », faire le héros alors que je peux pas. Ben oui je suis trop gros, ou j’ai des lunettes... en tout cas je suis plus moche que lui et j’ai pas des meuf... ou alors une depuis longtemps qu’on voit qu’au début quand on est heureux ensemble, et à la fin quand ce connard de héros va voir ma femme et mes cinq gosses en bas âge pour leur annoncer que je suis mort en héros dans l’explosion du réacteur 5, ou dans la chute tragique de mon appareil sur une île japonaise, ou dans l’éruption du super volcan endormi depuis des lustres... Il y aura des cris, des pleurs, des « Pourquoi ? Pourquoi ? » Ou alors c’est tout simplement parce que je suis le seul noir dans la distribution du film.
Des fois, ils en mettent deux et ça fausse les pistes, on peut en tuer un avant l’autre. Heureusement je suis blanc, j’ai déjà plus de chances de m’en sortir, mais à quel prix ? Paralysé ? Amnésique ? Transformé en zombie, attaché au fond du jardin et condamné à jouer à la Playstation 2 ?

Non, non, je m’insurge, je ne veux plus servir de faire valoir et de pic émotionnel dans la trame scénaristique, je ne veux plus avoir tout le temps les mêmes acteurs... Même si certains sont très bon je tiens d’ailleurs à remercier Willem Dafoe, Geoffrey Rush, François Berléand, Alan Rickman, Ed Harris, Ice Cube, Jeanne Moreau, Jeff Goldblum, Benicio Del Toro, Quentin Tarantino, Edouard Baer, Tom Waits, Mathieu Amalric, Mufasa, Owen Wilson, Mista Isaac, Tony Curtis, Kevin Spacey, Samuel L. Jackson, Robert Carlyle et bien d’autres encore (rajoutez-en) de m’avoir si bien interpréter tout au long de ses années, d’avoir la gueule pour. C’est à dire une beauté toute relative, une beauté pleine de défauts (parce que je peux pas être moche, je suis dans un film quand même) et pas la gueule parfaite du bellâtre qui va s’en sortir. Mais de toutes façons ceux là s’en foutent parce qu’ils savent qu’ils vont durer et qu’ils auront des rôles principaux longtemps après que les premiers rôles de l’époque seront oubliés. C’est d’ailleurs eux que les cinéastes et les cinéphiles préfèrent (à part évidemment les icônes de beauté ou les monstres de présence évidents) ceux qui jouent ceux qui doivent mourir, les méchants ou les gentils.

Alors merde, je vais aller foutre une balle dans la tête de ce crétin, partir avec sa meuf et zapper la dose de pathos du film, parce que ça fait vraiment chier d’être un stéréotype.

1 commentaire:

Miloon a dit…

Je suis à la bourre, je l'avais jamais lu jusqu'au bout... Tu m'as fait sourire avec ton "Mista Isaac"... Toi, je t'aime.

Et si tu sais pas pourquoi, je t'expliquerai dans un couloir quand le héros de mon histoire sera parti à la guerre...