vendredi 11 mai 2007

[Chronique] Björk - Volta

Découvrir un nouvel album de Björk est pour moi toujours un plaisir attendu depuis longtemps. J’avais hâte d’écouter la nouvelle livraison de la grande dame islandaise deux ans après son « Medullà » tout en bouche et en rythme et après une bande originale énigmatique « Drawing Restraint 9 » Et je ne suis ni déçu, ni surpris par ce sixième album studio en quatorze ans de carrière solo où Björk, une des voix les plus atypiques de la musique contemporaine et une musicienne talentueuse, nous fourni un album à la hauteur mais pas révolutionnaire, une nouvelle page à défaut d’un nouveau chapitre.


Depuis quelques années, l’Islandaise est rentrée dans la phase 2 (ou 3, selon les interprétations) de sa carrière solo, après avoir sorti trois premiers albums éclectiques, regroupant pop, électro, trip hop et techno furibarde et explosant tous les carcans de la musique mondiale. Celle-ci c’était calmée en sortant quasiment en même temps la bande son de « Dancer In The dark », film où elle tenait le premier rôle et le magnifique « Vespertine », sorte de grimoire rempli de neige, de coton, de cristal et de souvenirs anciens. Un album presque de musique classique qui mettait fin, je le croyais, à la première période prolifique de l’Islandaise. Elle ne sortait plus que des best-of’s, des coffrets de raretés, des quadruple lives, des dvd’s en tous genres. Puis enfin, on entendit reparler d’elle : cette dernière après avoir découvert une fabuleuse chorale d’inuit et une consœur à la voix aux particularités stupéfiantes (Taqag) eut l’idée de faire un album dont tous les composants seraient issus de la voix humaine. Pour cela elle fit appel à un casting monstrueux, à des voix toutes hors du commun, des beatboxers fous (Mike Patton, Robert Wyatt, Dokaka, Rhazel...) et nous sortait un album concept, totalement différent du précédent mais directement dans la lignée de celui-ci. Je m’explique. Si on devait facilement définir un thème pour chaque album de Björk, ce serait un organe, un composant vital du corps. Après nous avoir sorti un album sur le cerveau et la mémoire (« Vespertine ») et un sur la voix et le souffle (« Medullà »), Björk nous sort aujourd’hui un album qui vient des pieds, du cœur, des viscères, un album de sang.

Là après cette petite introduction, tu vois que je maîtrise mon sujet, mais tu restes perplexe et tu demandes une explication. D’abord premier constat, elle n’a pas abandonné l’idée de faire travailler pour elle toute une cohorte de musiciens doués venus des quatre coins de la terre. On retrouve là des musiciens congolais (Konono n°1), une joueuse de pipa, une sorte de luth chinois (Min Xiao-fen), un joueur de kora (Toumani Diabaté, deuxième africain de la bande, un continent qu’elle avait délaissé jusque là) et plus près de nous l’immense producteur Timbaland qui a coproduit et coécrit deux titres et l’immense nouveau talent, le chanteur Antony sans ses Johnsons... Et comme d’habitude elle évite le piège de l’album de world-music trop facile, se concentrant pour créer un album indéfinissable où les talents de chacun sont utilisés à leurs juste valeurs.

Au-delà de cette armée de collaborateurs, c’est toujours Björk qui est maître de son album, commandante je dirai même. Parce que c’est bien dix chansons guerrières qui nous sont offertes, des chansons remplis de cuivres (par une section entièrement féminine), de rythmes martiaux, de cris de guerre, des chansons martelés avec les pieds, des chansons de terre. Car Björk est surtout en colère, et cela faisait longtemps, depuis « Homogenic » à vrai dire, qu’elle ne l’avait pas laissé s’exprimer de manière aussi violente, brutale et sournoise. Elle se fait cynique, crache au visage de la noirceur et elle nous assomme avec une chanson digne de « Pluto » : « Declare Independance », synthétique et électronique où la production se veut rythmée mais indansable à part pour une tribu sur le pied de guerre. On ferme les yeux, et on voit des avions, on entend des sirènes, on imagine la diva Björk sur son estrade nous hurler des ordres (« Make Your Own Flag !! »). Il y a aussi « Dull Flame Of Fire », une chanson basée sur une montée en puissance des cuivres et des deux voix qui montent lentement pour s’élever vers la colère refoulée. Deux voix, car depuis bien longtemps, Björk nous livre un vrai duo, avec Antony, qui est tout simplement magnifique à en pleurer. Leur voix se complète à merveille (Björk fait l’aigu, Antony le grave, choix surprenant quand on sait que les deux n’ont pas de facilité particulière dans ces registres) En plus de ces deux chefs d’œuvres immédiats on retrouve tout un lot de bonnes chansons : l’intro faussement dansante « Earth Intruders », « Vertebrae By Vertebrae » étrange descente aux enfers qui résonnent dans notre tête. Et tout un lot de chansons typiquement Björk comme « Wanderlust » tout en sirènes, échos et radars ou « My Juvenile » sublime conclusion en canon.

Cet album ne surprend pas, et ce ne sera sûrement pas un grand tournant dans la carrière de Björk mais il comporte encore son lot de chansons magnifiques, d’expérimentation sonores audacieuses et surtout cette voix qui ne faiblit jamais, une voix fabuleusement hors norme, magnifique (il y a ses détracteurs et c’est ce qui la rend encore plus parfaite, vu qu’elle ne peut pas laisser indifférent) qui vous prend au cœur, au corps comme elle laisse s’exprimer le sien. Un album à peu près aussi bon que « Medullà » ce qui nous fait penser qu’elle est rentrer dans un rythme de croisière tranquille et qui correspond bien à ses changements de vie à 41 ans. La fougue a laissé place à une certaine maturité. Malgré cela, comme je l’ai dit cet album est teinté de colère mais d’une saine colère réparatrice, venant du profond du cœur de la dame, mais aussi un album de terre, de guerre, de pieds qui martèlent le sol. Et composé de sang qui circulent aisément des pieds au cœur pour mon plus grand bonheur.

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